Chez Natalya

Le tavernier s'affairait comme jamais, ayant ramené plusieurs tonnelets d'un coup afin de s'économiser pour cette soirée qui s'annonçait chargée. Il priait intérieurement qu'il n'y ait pas de bagarre ce soir. Non pas pour la casse que cela engendrait puisque la Rada couvrait généreusement toutes les dépenses, mais plutôt pour le temps passé à chaque fois pour nettoyer le mobilier saccagé, avant de le remplacer... Il faisait une douce chaleur dans l'établissement, qui contastait avec le sentiment de froid que l'on ressentait l'orsque l'on regardait par les fenêtres chargées de buée derrière lesquelles tombait la neige. Par réflexe, il ajouta trois buches dans l'âtre ravivant le feu. Voilà ça de moins à faire lors de la quatrième tournée. Vitali héla un cosaque qui venait d'entrer, et lui ordonna d'aller quérir son bras-droit ,Razoumnik, afin que celui-ci aille chercher du thé noir sous sa yourte... Puis, entouré des quelques Chefs de Guerre qui s'était joint à la veillée, il planta son regard noir dans les yeux de Sanchov.



"_ Commençons, étron de bouc! Je vais faire les présentations! Celui qui t'a accueilli en notre Sich... hum... notre camp militaire si tu préfères, c'est Habramovitch, dit "Nakun" un p'tit surnom tatar. Il descend tout comme moi, d'une longue lignée de cosaques! Regarde-le habillé comme un dandy sans le sou. C'est ça marotte à lui: dans les bagages de nos adversaires vaincus, il pille tout ce qui est à son goût, chemises à jabot, dentelle de Calais ou Bruxelles, brocard de Venise, manteau d'hermine, velours de Gênes... Mais son truc... Haaa oui... héhéhé... son plaisir lorsque nous enlevons une ville à la vermine franski, c'est de grimper au sommet du clocher de son église, et de pisser toute la vodka bue dans la matinée! Va savoir... Défi aux "culs-blancs"? Aux saintes icônes? Nul ne le sait, mais il ne déroge jamais à ce petit rituel...!"


Vitali vida son rog (corne à boire cosaque^^) d'un trait et repris les présentations...


"_ Le beau brun là-bas, qui fait rire la galerie avec ses bons mots, c'est Pokotylo! Je ne te dirais pas comment il a perdu son bras vu que les seules fois ou il en parle, il est plein comme une barrique, et nous autre aussi! Alors pour s'en rappeler le lendemain... c'est une autre paire de manches... HOHOHO... hein... une paire de manches, Poko... HEHEHE...!!! Hum... Bref... Plus têtu qu'une mule, plus téméraire que Charles, cosaque depuis plus de 8 générations, et plusieurs fois Hetman, il a du tuer à lui tout seul par ses charges meurtrières, davantage de cosaques que d'ennemis... Mais au moins es-tu sûr d'avoir un solide allier quand tu pars au combat!"


Vitali prit cette fois la bouteille, remplit les rogs de ses camarades, et se servit à son tour avant de reprendre...


"_ Lui là-bas, le discret qui parle peu mais à qui rien n'échappe, c'est Dimitri Andrev! Lui et ses deux frères sont des vétérans de la "Garde du Tsar". Dimitri a reçu une grave blessure qui l'a tenu alité plusieurs mois. Mais à son retour ce n'était plus pareil, son régiment avait changé, ses cadres, ses hommes... à moins que ce ne soit lui qui ait changé. En tout cas, il a déserté avec plusieurs de ses hommes, a recruté des malandrins, des paysans dont la ferme avait brûlé, des cosaques même, et sa route a croisé la notre. On le connait bien ce bougre, nous avions bien failli nous entretuer il y a quelques années! Et aujourd'hui on combat côte à côté, on dort sous le même toit, culbutons les même filles, et, buvons et mangeons à la même table... d'ailleurs à propos de manger..."


Vitali interpella le tavernier qui revenait de sa réserve, et exigea de la viande. Lorsque le tavernier lui dit qu'il y avait de la chêvre à manger, Vitali vociféra, pestant contre le peu de variété de l'ordinaire. Il pointa sa main vers l'épouvantail qui enlevait méthodiquement la paille du revers de sa veste...


"_ Lui là, le grand blond au regard clair et à l'accent étrange à couper au couteau, c'est Andréas Hofer! Il est autrichien, plus précisément originaire du Tyrol. Il a fui son pays avec ses gens lorsque les bonapartises sont arrivés. Il a très tôt rejoint la "Kazak Voïsko", pour ainsi dire depuis le début de la campagne franski contre le Tsar! Peut-être te présentera t-il un jour l'un de ses acolytes, le Père Joseph.. . un saint-homme selon les préceptes protestants... mais qui a une façon bien à lui de mettre sa foi en pratique. Son bâton de pèlerin ne lui sert pas qu'à marcher! En effet l'objet en question à occis bien plus d'ennemis que je ne saurais en compter. Depuis me suis-je jurer si l'occasion devait se présnter, de ne jamais piller de temple protestant...!"


Le tavernier revint les bras soutenant un lourd plateau de viande de chèvre découpé en tranches, accompagnée d'une garniture faite de choux et de tubercules fumantes. Il posa le tout sur la grande table sans s'embarraser à dresser une table. Les cosaques se serviraient avec leurs couteaux! Vitali le gosier sec, vida son rog à nouveau, et imitant Kingtiti, prit une portion de viande avec son couteau.


"_ Quant à l'affamé, là, c'est Kingtiti! Il nous a rejoint il y a peu. Mais nous le connaissions déjà de réputation. Il a mené jadis les opoltchènes, ces soldats moujiks formés à la hête il y a quelques années pour lutter je crois... hum... contre les "Autumnois" me semble t-il, en d'autres terres et en d'autres temps. Grand-gueule, encore une, il n'a pas son pareil pour se facher avec ces messieurs poudrés et fardés des cours de nobliaux et salons des état-majors, qui se targuent d'être férus d'histoires guerrières, et versés en stratégie militaire. Ces même hommes qui sur leur flanc, ne portent que le sabre de parade, sans doute jamais sorti de son fourreau, et qui des champs de bataille n'ont du entrevoir que de lointaines fumées, ou lueurs émanant de la canonnade..."


Razoumnik revint enfin, portant un large écrin de bois laqué, qu'il portait entre ses deux mains presque religieusement. Il s'approcha de la table où siégeaient les quelques Chefs de Guerre autour de Sanchov le journaliste, et la posa devant Vitali, qui d'un revers du bras avait nettoyé la table. L'imposent cosaque ouvrit l'écrin, en sortit une tasse en fonte émaillée, une théière du même ouvrage. Vitali prit une petite sacoche en tissus, fermée d'un cordelet qu'il ouvrit aussitôt, pour un retirer une bonne pincée de feuilles séchées noirâtres. Il s'en dégageait une légère odeur fumée. Il égraina la pincée dans la tasse, et tendit la théière au tavernier...


"_ Fait-moi chauffer de l'eau, et surtout vilain crapaud, ne la fait pas bouillir! L'eau doit à peine frémir! Si l'eau bout je te ferai battre à coups de trique jusqu'au sang! "


Puis se retournant vers ses camarades cosaques, et enfin vers Sanchov...


"_ Commençons à présent..."

Pendant la longue énumération des qualités intrinsèques des chefs de guerre de la Rada, Pokotylo sombra dans un semi-sommeil, puis, entendant qu'on le citait, cligna des yeux, s'ébroua, et se leva.

Ne voulant pas déranger Vitali qui semblait vouloir battre un reccord du plus long discous sans boire, il interpella le tavernier en ces termes:
"Fais bien gaffe avec le thé. Il doit être absolument au point, histoire de rétablir les idées de notre cher Hetman: V'là qu'il confond mon bras gauche et mon bras droit ... le filou!"

Lui répondant, le Tavernier lui dit:
"A mon avis, il s'en fout. La seule chose qui importe, c'est que tu lui as tiré un coup de pétoire dans les fesses il y a 2 ou 3 ans. Il doit encore avoir une dent contre toi."

Dimitri écouta Vitali , à travers un nuage déjà bien épais de vodka. Quand son tour fût venu , il se concentra cependant sur les paroles de son hetman , et replongea dans le passé.


Dimitri fixa le gratte-papiers russe

Tu sais , mon cher russe , Vitali dit vrai. J'étais un officier de la Garde du Tsar autrefois , et Cosaques et Gardes étaient sur le même front , à défendre le palais de notre si bien aimé Tsar.

Vitali minimalise assez nos conflits de cette époque ; peut-être pour lui était-ce normal. Je le comprend mieux maintenant, ayant fréquenté les Cosaques et me battant pour eux et avec eux maintenant.

Une journée en fin d'après-midi , l'un de mes adjudants de l'époque , Litovski , s'était insulté vigoureusement avec un cosaque , à propos d'une sombre affaire. Ce cosaque ordonna à ses hommes de charger les voltigeurs de Litovski , jusqu'à ce que mort s'ensuive. Seul Litovski en réchappa , et jamais plus il ne fût le même.

Dimitri hocha la tête , d'un mouvement triste

Peut-être , si tu le veux , peux-tu fouiller les archives du tribunal. Un vieux dossier doit s'y trouver , concernant cette affaire.

J'ai reçu une vilaine blessure quelques mois après ça , et suis resté alité un temps trop long. A mon retour au front , j'ai été envoyé comme un vulgaire bleu dans une soit-disante école , pour m'y faire souhaiter la bienvenue comme un chien. J'ai donc décidé de rejoindre mon ancien chef de régiment , Leto , chez les Cosaques , connaissant de toute façon la valeur de ces hommes.

Dimitri regarda intensément le russe

Peut-être un jour feras-tu ce choix comme je l'ai fait , pour être libre. En attendant , regarde donc ce que les Cosaques m'ont appris au bout de longues soirées.

Dimitri attrapa une bouteille de vodka aux 3/4 pleine , amena le goulot à sa bouche , et la vida cul-sec. Il commenca à tanguer et tomba de sa chaise , s'écroulant sur le sol , dormant d'un sommeil alcoolisé

Pendant ce temps, Pokotylo observa Sanchov, le journaliste russe.

Celui-ci avait sorti un callepin dans lequel il semblait prendre des notes.

A côté de son callepin était posé un bouquin dans lequel il semblait puisser des informations toutes les 2 ou 3 minutes.
"Je peux?" fit Pokotylo en tendant le bras pour attraper le livre sans attendre la réponse.

Il regarda alors le titre:
"DICTIONNAIRE RUSSE - COSAQUE et COSAQUE - RUSSE - Editions Vice-Versa"

"Heu, bonne année!"

hrm.... désolé pour le dérangement ... excusez-moi si je vous ai réveillé dans votre silence somnolent ...

Hein? Quoi? Qui a parlé de vodka?

Rooooooooooonnnnnnnnnfffffffffffffflllllllllllluuuuuuuuuuuuuuuuu rooooooooooooooooooonnnnnnnnnnnfffffllllllluuuuuuuuuuuuuuuuuuu

'tain... c'est encore la grande foule, ici ...

Apparemment, nous avons tellement à faire sur le front que l'on en oublie notre bonne vieille taverne.

La prochaine fois, nous irons dans un coin tranquille.

Un cosaque qui ronflait, la joue gauche ramolie sur ses bras croisés, affalé sur une table, toussotta, leva une paupière, attrappa la cruche devant lui, la bu d'une traite, rotta, puis réenfourna sa tête entre ses bras croisé, mais en changenat de côté.

Vitali se débattait farouchement avec une dizaine de pucelles ottomanes entièrement nues, sur un sol couvert de tapis perses. Elles gloussaient de plaisir et miaulaient de béatitude, tandis que vitali rugissait tel un ours en rut... un bruit incongru pourtant le perturba... Vitali ouvrit un oeil, puis deux... une odeur nauséabonde de transpiration et de vodka frelatée, une pièce singulière et familière... la taverne de la Sich. Poko ronflait sous une table voisine. Andréas souriait bêtement, une bouteille vide dans la main, prêt de l'âtre...

"_ Grumf... Peste de vérole...!!!"

Et il sombra à nouveau...


... ...

Entendant le bruit caractéristique d'une bouteille qu'on débouche... "plop" ... l'oreille de Pokotylo transmis le message de réveil au cerveau du cosaque manchot."znn...rumf..."

Puis, l'odeur de la vodkà envahit la pièce et vint chatouiller les cellules olfactives du nez de Pokotylo. Et celles-ci transmirent un autre message au cerveau du cosaque manchot.

"snif...snif... je connais cette odeur.... de la vodkà polonaise!!!"

Il s'ébrouat: "je ne connais qu'un seul homme à boire celà, mais il est parti il y a bien longtemps pour un long voyage... la peste soit de ce Rzewusky!"

Il se retrouna alors vers le comtoir et apperçut le Cosaque Polonais!

"Waklaw, Vieux lâcheur! Tu es revenu? J'espère que tes hommes sont avec toi: on a besoin de bras pour hâcher du fransky au nord!"

aaaaaaaah bande de soifards!! s'écria Mikaïl en rentrant dans la taverne.

Toujours les mêmes barriques qu'on retrouve ici!! Allez debout la dedans! Faut décuver, c'est l'heure de l'apéro et c'est ma tournée!

Se retournant vers le tavernier: Ta meilleure vodka l'ami! Nous en avons bien besoin, ça chauffe au nord!

Depuis déjà quelques temps Andreas se tenait à sa place, consommant bouteille après bouteille, toujours ravi par le goût ou un autre aspect particulier de la suivante (étant donc obligé de la vider). Entre chaque bouteille, il se balançait assez négligemment sur sa chaise, entretenant un équilibre fort douteux.

Dans ses rêveries nombreuses, Andreas aperçu, sans le reconnaître, l'étrange personnage. Par habitude, il le suivi du regard jusqu'à l'instant où l'étranger s'installa à sa place.
Ce fut au moment où Pokotylo, se réveillant assez brusquement, prononça le nom d'un de leur ancien compagnon de fortune comme d'infortune, que le brouillard se leva du regard du tyrolien.

"Rzwus...Rewu...Rezi...Ski..." Andreas se rappela alors qu'il était difficile de prononcer le nom de l'arrivant.

"Wac...law Rze...Wus...Sky?" Tenta de prononcer Andreas, l'usage de la parole mettait un peu de temps à lui revenir.

Ce fut alors qu'un autre cosaque s’engouffra dans la taverne, accompagné d'un bruit de tonnerre, qui fit basculer la chaise sur laquelle se trouvait Andreas. Ce dernier complètement réveillé, se releva aussi brusquement qu'il s'était écroulé, accompagnant cette action d'un cri digne de l'un des plus grands ténors d'opéra. Il était en partie tombé dans l'âtre de la cheminée.

"Salut Mikeyouf! Ca chauffe aussi ici. Tavernier! Remets-moi une bouteille!"

S'approchant un peu de Waclaw, il l'apostropha:

"Waclaw! Diable de polonais! Tu nous reviens! Ta compagnie nous a bien manqué ces derniers temps."

"Tavernier!!!!" hurla Pokotylo en entrant dans la taverne."Prépare un nouveau stock de tonneaux en tous genres!!!"

Se réveillant d'une longue léthargie, le tavernier s'enquit de connaître la raison de cette demande:"...znnn...quoi?"

"Vitali et moi-même allons bientôt être démobilisés de nos fonctions officielles. On va avoir plsu de temps à passer dans ton estaminet. Et on a très soif!!!!"

Humm, ça sentirait pas un peu le rat creuvé, comme si tout le monde avait déserté.
Bon, je vois Poko tappe toujours dans les meilleurs tonneaux. On va faire de même, ça fera peut-être venir du monde.

Voyant la porte entre-ouverte, Igor rentre dans la taverne et voit Jyb en train de contempler l'endroit, sentir de nouveau les effluves de vodka planantes ici et là.

"Des rats des rats..des dragons de Komodo à ce stade Jyb !

Enfin, oui tu as raison, Poko descend les tonneaux comme si c'était du petit lait...en même temps il en avait mis de côté en prévision de sa 'retraite' ...Prévoyant comme qui dirait !"